Lily, est-ce que je pourrais te parler ?

Il était 18h30 passé lorsque Lily Evans s’était assise sur le banc des Gryffondors, un sourire béat aux lèvres. L’automne prenait progressivement ses aises et après les nuages gris au plafond de la Grande Salle, c’était le froid qui s’était engouffré dans les couloirs du château. Elle avait serré sa cape autour d’elle presque toute la journée en dehors des salles de cours et le moment où elle regagnerait la salle commune et son feu ronflant lui tardaient  mais, au fond, le réjouissement la gagnait. Lily adorait la fin de l’année.

Que ce soit les feuilles cramoisies, les citrouilles creusées ou les sapins décorés, à partir du mois d’octobre, elle jubilait presque constamment. Il était bien difficile à quiconque d’altérer sa bonne humeur légendaire.

Et, pourtant, et ce n’était pas faute d’essayer. Il  lui semblait que tout son entourage s’était motivé pour relever le défi car, après un désastreux cours de Défense contre les forces du Mal où sa meilleure amie s’était (presque) battue avec un Poufsouffle (qui l’avait malencontreusement visée avec un Sortilège de Chauve-Furie), un nouveau venu se tenait désormais juste à côté d’elle, debout à côté de la table de Gryffondor. Un nouveau venu qui mettait sérieusement sa bonne humeur à l’épreuve.

Severus.

Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Lily, les lèvres pincées.

Depuis le « petit incident » (comme elle l’appelait couramment) de juin, la Gryffondor et le Serpentard ne se parlaient plus vraiment – du moins, ils n’avaient plus de véritable conversation. En revanche, depuis la rentrée, Severus s’était arrangé à plusieurs reprises pour lui parler. Il voulait s’excuser, ou plutôt… il voulait qu’elle accepte ses excuses. Ce qui était évidemment hors de question, mais ne l’avait pas empêchée de se remettre à pleurer presque quotidiennement les premiers jours de leur retour à Poudlard. Passer l’été loin de lui avait été difficile, mais devoir supporter à nouveau des faces à faces réguliers lui demandait trop d’énergie.

Elle avait fini par se reprendre en main, cependant. Elle avait arrêté de pleurer, doucement, progressivement, et s’arrangeait depuis mi-septembre pour ne jamais se déplacer seule, ce qui avait drastiquement diminué les occasions pour Severus d’essayer de lui arracher quelques mots. Elle avait presque fini par s’habituer à son absence. Presque. Et il avait fallu que ce soir, sa meilleure amie aille rendre un livre à la bibliothèque…

Je voudrais te parler, répéta Severus, l’air encore plus pâle qu’avant. Cette pseudo « rupture » ne lui avait décidément pas été bénéfique. Lily sentit son cœur se serrer en remarquant les cernes qui creusaient son visage ; il n’avait jamais eu l’air si… malheureux. Et quoiqu’il en dise, quoiqu’il en pense, derrière sa bonne humeur de façade, la jeune fille n’en menait pas large non plus.

Tu sais déjà que je n’ai rien à te dire. Retourne donc avec tes amis Serpentards…
Non, écoute-moi cette fois, fit-il en haussant la voix. Quelques premières années, assis non loin, tournèrent la tête d’un air curieux mais il les foudroya du regard. Tu ne peux pas m’ignorer comme ça. Tu ne peux pas m’ignorer comme ça après six ans de…
Tiens tiens tiens, Servilus.

Lily tourna si vite la tête en direction de la voix qu’elle crut entendre craquer ses cervicales. De l’autre côté de la table, les cheveux en bataille, un sourire mesquin aux lèvres, se tenait James Potter.

Oserais-tu importuner notre chère préfète ?

Severus ouvrit la bouche pour répondre, l’air haineux, mais Lily fut plus rapide.

Laisse tomber, Potter, siffla-t-elle, je n’ai pas besoin de toi pour me défendre.
Mais tu considères donc avoir besoin de défense ?
Ce n’est pas ce que je…
Tu vois bien qu’elle ne veut pas te parler, Potter, grogna Severus en reculant imperceptiblement, enfouissant sa main dans sa poche.

Le cœur de Lily s’accéléra brusquement. Le seul avantage à sa dispute avec Severus avait été que, vu qu’ils ne se croisaient plus, les interaction entre lui et James avaient drastiquement diminué. Bien entendu, elle savait qu’ils n’attendaient pas d’être en sa présence pour s’affronter, mais leurs occasions de lancer une bagarre étaient désormais bien plus rares. Et il avait fallu que Severus vienne lui parler là, maintenant, à la table des Gryffondors…

Parce que tu crois qu’elle veut te parler ?! s’exclama James avec un rire éberlué. Que je l’ai empêchée de te voir depuis la rentrée, peut-être ?
Potter, mêle-toi de tes affaires, répliqua Lily en maintenant un ton le plus calme et le plus ferme possible.

A sa droite, Severus, crispé, semblait agripper sa baguette dans sa poche ; en face d’elle, de l’autre côté de la table, James paraissait prêt à l’escalader pour, au choix, se mettre entre elle et Severus, ou frapper ce dernier. Elle s’aperçut alors que ses trois fidèles compagnons étaient entre temps arrivés aussi dans la Grande Salle et s’étaient assis quelques places plus loin – ce qui ne changeait rien au fait qu’ils les dévisageaient avec inquiétude et n’avaient pas même touché à leurs assiettes encore vides.

Il était incroyable que James et Severus ne puissent se tenir à moins de deux mètres l’un de l’autre sans vouloir s’étriper. Brutalement, les souvenirs de ce fameux après-midi de juin revinrent à la mémoire de Lily – c’était la première fois depuis qu’elle se retrouvait dans la même situation. Une bagarre sur le point d’éclater, elle qui devait prendre un parti, et…

Et Severus, retourne à ta table, s’il te plait. Potter a raison. Je ne veux pas te parler.

Elle ne pouvait plus le défendre. Elle ne pouvait plus lui donner invariablement raison. Elle avait envoyé Potter sur les roses pour un oui ou pour un non pendant cinq ans – parfois parce qu’il le méritait, certes, mais parfois simplement parce que l’amitié de Severus le requérait. C’était fini, maintenant.

Et en plus, pour une fois, il se trouvait que Potter n’avait pas tort. Même si son indélicatesse l’ennuyait toujours autant.

Alors tu le choisis lui ? souffla Severus d’un ton rauque, les dents serrées.
Je ne choisis personne, Severus, c’est toi qui as choisi tes amis serpents au lieu de moi ! glapit Lily, les joues rouges. Plusieurs Gryffondors s’étaient tournés vers eux et les observaient d’un air curieux, et James la fixait d’un air préoccupé. S’il y avait une chose qu’elle détestait, c’était bien les règlements de compte en public.

Bien sûr qu’elle me choisit moi, Servilus.

Une fois de plus, Lily tenta de le foudroyer du regard et se promit d’aller faire des recherches à la bibliothèque pour trouver un sort informulé qui correspondrait à sa requête.

Qui te choisirait, entre nous deux, enfin ? Et même si c’était le cas, tu t’es bien arrangé pour qu’elle ne le fasse pas en juin dernier, alors…
POTTER !
Bien sûr qu’Evans me choisit, moi. N’est-ce pas, Lily ?

Lily s’était levée à mi-chemin de sa tirade et était devenue presque aussi rouge que sa cravate. Severus lui faisait cependant largement compétition et la situation aurait été presque comique si Lily n’avait pas paru aussi furieuse, et Severus aussi prêt à lancer un sort impardonnable sur James.

Sors d’ici maintenant, ou je te jure que je te transforme en un balai tellement réaliste que personne ne s’en apercevra et que Rusard t’utilisera pour balayer les couloirs jusqu’à la fin de sa vie.

Son regard était froid et imperturbable. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle lui avait donné raison à peine quelques secondes plus tôt. Qu’est ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Espérait-elle que cela blesserait Severus ? Que cela le ferait fuir plus facilement ? Comment pouvait-elle penser un seul instant que Potter s’en contenterait ? Il était tellement évident qu’il sauterait sur l’occasion…

Tu ne veux pas même pas me transformer en balai volant ? J’ai plein d’idées qui… Ah, tu n’es pas drôle, Evans.

James haussa les épaules et s’éloigna avec un air blasé tandis que Lily, baguette fraichement dégainée, se tourna lentement vers Severus. Il était livide maintenant, et fixait d’un air interdit l’endroit où se tenait le Gryffondor un instant plus tôt. Lorsqu’il fixa ses prunelles noires dans celles de Lily, le désespoir et la douleur qu’il renvoyait la submergèrent. Elle aurait voulu lui crier de revenir, de laisser tomber la magie noire, de la laisser lui pardonner ; mais elle ne pouvait pas. Elle savait que c’était peine perdue. S’il y avait eu de l’espoir pour lui, elle l’aurait déjà compris.

Sans dire un mot, Severus s’éloigna de la table des Gryffondors et quitta la Grande Salle. Lily s’effondra sur son banc, le regard dans le vide, et ne releva la tête que lorsqu’elle sentit une main se poser sur son épaule.

Au nom des hommes, je te prie d’accepter mes excuses, chuchota Remus Lupin en serrant doucement son épaule.

Elle leva les yeux vers lui, la gorge nouée, et hocha la tête.

Je connais un endroit où on pourra parler et manger tranquillement, fit-il doucement. Si tu acceptes ma compagnie…

Avec raideur, Lily se leva du banc et, hochant toujours la tête, emboita le pas à Remus Lupin. Heureusement qu'il y en avait un pour rattraper les autres...

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